Interview du réalisateur Carlos Saura
à l'occasion de la sortie de son film  "Fados"

fados, le film de carlos sauraCarlos Saura, réalisateur espagnol considéré comme l'un des grands réalisateurs de l'histoire du cinéma contemporain européen, est de passage à Paris pour la sortie (1) de son nouveau film musical  « FADOS ». (avec Carlos do Carmo, Mariza, Camané, Caetano Veloso, Chico Buarque...)

Depuis 25 ans, Saura explore la musique et la danse dans le cinéma. Dans chaque film, il développe de nouveaux concepts et explore de nouvelles voies.

Son travail a été primé au Festival de Cannes en 1973 et 1975 (prix spécial du jury). Il obtient 2 Ours d'argent au festival de Berlin, et il est nommé 2 fois aux Oscars. C'est également lui qui est choisi pour réaliser le film officiel des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, avec « Marathon ».

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Avec  le film « FADOS » Carlos Saura nous offre le regard d'un portraitiste sur la musique portugaise qui se révèle intense et ouverte sur le monde. Portugalmania ne pouvait pas rater l'occasion de rencontrer ce Monsieur, et une interview a été programmée.

Lors de la réalisation de l'interview, Carlos Saura était accompagné par son co-producteur et ami portugais Luis Galvão Teles.

Paris, le 7 janvier 2009, Hôtel d'Aubusson, rue Dauphine près de l'Odéon...

Lorsque Carlos Saura me serre la main, j'oublie vite le froid sibérien qui règne dans les rues de la ville-lumière. Chaleureux, le regard droit, la simplicité est de mise et l'enthousiasme intact.

Instants...

  

Portugalmania : Vous abordez le fado d'une manière originale (surtout avec la danse). Comment on réagi les puristes au Portugal à la sortie du film ?

Carlos Saura : Il faudrait plutôt poser cette question à mon producteur (rires). Mais suite à la première à Lisbonne, le public était enchanté, bien qu'un peu surpris au départ. Je crois qu'aujourd'hui les mentalités ont évolué, et qu'on accepte bien la possibilité de faire de la danse sur tous les fados.

Luis Galvão Teles : Comme disait Fernando Pessoa « Em primeiro estranha-se depois emprenha-se » - (D'abord on s'interroge, puis on s'imprègne)

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Portugalmania : Le fado est un genre musical comme le jazz et le blues, pourquoi avoir choisi le pluriel... Fados ?

Carlos Saura : Au cours de mes conversations avec Carlos do Carmo (2) et les consultants musicaux, (étape fondamentale pour le film), on s'est aperçus que nous avions tous la volonté d'ouvrir le fado à d'autre possibilités, et notamment de trouver dans la culture portugaise sa relation avec l'Afrique (Mozambique, Cap-Vert, Angola...).

La culture africaine est tellement riche qu'elle s'adapte et amène un plus aux autres cultures, par exemple au niveau du rythme. Ce mélange est tellement fort et intéressant qu'il ne faudrait pas qu'il se perde au Portugal. Cette capacité au mélange prouve la richesse de chaque musique.

Luis Galvão Teles :  Nous avons pensé que fado au singulier renvoyait uniquement à une idée du fado statique, or notre volonté était de montrer et de découvrir le fado sous d'autre angles donc le "pluriel du fado" s'est imposé de lui-même.

 


Portugalmania : Dans votre film vous filmez parfois comme un peintre portraitiste. Si vous deviez peindre Lisbonne avec deux seules couleurs, lesquelles choisiriez-vous, et pourquoi ?

Carlos Saura : Tu sais qu'il y a trois couleurs fondamentales : le rouge, le vert et le bleu. Ce sont les couleurs de la vie et à partir de ces trois couleurs ont peu créer toutes les autres couleurs, donc Lisbonne ne peut être peinte qu'avec les couleurs de la vie.

 


Portugalmania : Vous adorez Lisbonne. Mais qu'est-ce que vous aimez en fait dans cette ville ?

Carlos Saura : Oui j'adore Lisbonne. C'est difficile de dire pourquoi... Je crois que Lisboa é Lisboa. C'est une ville avec une ambiance différente, typique. Les lisboètes (habitants de lisbonne) sont vraiment très sympathiques.

Je me retrouve à Lisbonne comme je me retrouve chez moi. C'est une ville tolérante, une ville de mélange où beaucoup de cultures se croisent, c'est une vraie richesse. C'est justement cet aspect que nous avons voulu mettre en avant dans « Fados ».

Il y a un lien entre le fado et certains chants brésiliens, africains et tziganes. Quand on écoute Argentina Santos chanter, on ressent directement le lien avec le flamenco, c'est très intéressant. D'ailleurs Ricardo Ribeiro, un des chanteurs de la scène de la « casa de fados » est gitan. Et que dire du duo entre Mariza et Miguel Poveda (chanteur flamenco) ?

 


Portugalmania : Vous dites qu'un jour vous êtes parti au Portugal pour un amour impossible et pour fuir votre pays. Le Portugal avait plutôt l'image d'un pays doté d'une culture du départ avec l'immigration. Comment avez-vous vécu votre exil volontaire dans un pays d'expatriés ?

Carlos Saura : Oui j'avais besoin de changer de vie à cette époque. Je m'y suis senti très bien. Le Portugal était très différent de l'Espagne. Ce pays était plus pauvre et en même temps plus amical, alors que l'Espagne semblait plus riche alors qu'elle ne l'était pas.

 


Portugalmania : Vous y êtes retourné depuis. D'après vous qu'est-ce qui a le plus changé ?

Carlos Saura : Tout à changé en 40 ans, comme en Espagne. D'ailleurs je ne vois plus de grandes différences entre nos deux pays.

Luis Galvão Teles : Pour moi ce qui a le plus changé c'est l'isolement du pays. Il y a 30 ou 40 ans l'Espagne était encore une menace (rires), c'est vrai. Passer la frontière c'était déjà un défi. Les gens me disait « c'est bien, tu vas voir le monde ». Alors qu'aujourd'hui le monde est présent au Portugal.

 


Portugalmania : Le corps a une place privilégié dans votre oeuvre. Pensez-vous que le corps soit appréhendé d'une manière différente dans les sociétés portugaise et espagnole ?

Carlos Saura : Oui, et c'est très intéressant. Par exemple pour le film il y avait deux chorégraphes, Patrick De Bana qui est espagnol et Pedro Gomes qui est portugais. Leur jeu était différent et enrichissant, car l'un était plus énergique et l'autre plus contemplatif.

En Espagne on pourrait dire qu'on prend le corps à "bras le corps", alors qu'au Portugal le corps regarde le corps.

En fait l'Espagne est un pays plus barbare (rires). En même temps il s'y dégage une vitalité corporelle qui commence seulement à surgir au Portugal. Sur cet aspect aussi, l'interaction entre nos deux pays crée de plus en plus d'unité.

Luis Galvão Teles :  c'est ton idée de l' Ibéria, non ? (sourires)

Carlos Saura : Non non. C'est Saramago qui a eu cette idée de l'Ibéria. (3)

 


Portugalmania : Justement le navigateur portugais Magellan a réussi le 1r tour du monde avec le soutien de l'Espagne. Et vous, espagnol, vous réalisez un film sur le fado portugais. Pensez-vous que nos deux pays devraient créer plus de projets en commun (culturel, économique voire politique) ? Et croyez-vous à la possibilité d'une nation ibérique dans l'avenir ?

Luis Galvão Teles : Oui naturellement, ça me semble essentiel. Je suis comme Saramago qui a eu une idée formidable en évoquant le projet d'une Ibéria où le Portugal et l'Espagne ne feraient plus qu'un. Les grandes villes  de chaque pays pourraient devenir des capitales en alternant la présidence par exemple !

Je sens que nous espagnols, nous sommes disposés à ce projet alors que les portugais sont plus réticents, je crois qu'ils ont encore peur de l'Espagne; nous sommes encore leurs frères-ennemis (rires).

Alors que tous les espagnols que je connais adorent le Portugal.

 


Portugalmania : Si vous aviez un autre film à réaliser sur le Portugal quel thème choisiriez-vous ?

….. ça s'appellerait « Fados 2 » (rires).

Luis Galvão Teles :  on en rit mais ça reste dans le domaine des possibles....

Carlos Saura : Il y a vraiment une nouvelle génération de "fadistas" qui émerge actuellement au Portugal et dans tous les pays lusophones. Leur approche du fado est très intéressante car ils apportent   un nouveau souffle au Fado. Il y a vraiment matière à faire un second film...

Luis Galvão Teles :  Oui tout à fait, dans cette jeune génération sans complexe j'adore Antonio Zambujo (un alentejano) qui chante le fado avec un style très personnel, langoureux.

Presque tous les jours, de nouveaux jeunes talents apparaissent aux quatre coins de la lusophonie  avec une grande liberté dans leur approche.

Avant, le fado était une sorte d'initiation, il fallait faire partie du milieu pour chanter dans les « casas de fado ». (maisons de fado). On commençait d'abord par le bas de l'échelle avant d'avoir son droit d'entrée dans les « casas de fado » plus réputées. Maintenant la donne est totalement différente et les jeunes surgissent en dehors de cette filière.

Carlos Saura : C'est formidable, cette vitalité.

 


Portugalmania : quelle est la question qu'on ne vous a pas encore posé au sujet du film ?

Carlos Saura : On pourrait me demander à juste titre pourquoi tel ou tel fadista n'apparait pas dans mon film.

Mais « Fados » n'est qu'un résumé du paysage actuel du fado. On a été obligés de faire des choix difficiles. Je pense à Misia, Cristina Branco et à d'autres fadistas. Malheureusement il n'était pas possible de mettre tout ceux qu'on apprécie en 1h38... C'est pour cela qu'il faudrait faire « Fados 2 ».

 


Portugalmania : C'est donc sérieux ce projet « Fados 2 » ?

Luis Galvão Teles :  Ce n'est pas sérieux mais ce n'est pas impossible (sourires).

(S'adressant à Carlos Saura) : Et si tu devais refaire « Fados », referais-tu le même film ?

Carlos Saura : Ca, c'est tout à fait impossible parce que la vie est comme ça. On ne peut jamais revenir en arrière. Je suis sûr que je ferai quelque chose de différent. On fait les choses dans un contexte avec lequel nous sommes en interaction permanente.

Luis Galvão Teles :  Oui d'ailleurs on a bien senti que tu t'étais complètement imprégné de la culture et de l'histoire du fado pour ce film (lectures innombrables et écoutes en continu) mais que tu restais sensible au contexte musical actuel.

Même pendant le tournage, alors que tout était minutieusement préparé, tu n'hésitais pas à rebondir sur ce qu'il se passait en direct.

 


Portugalmania : Vous laissez une place à l'improvisation ?

Carlos Saura : Oui toujours. Rester ouvert c'est essentiel. Donner la possibilité de faire autrement.

 


Portugalmania : Votre plat portugais préféré ?

Carlos Saura : J'ai une cuisinière portugaise d'origine angolaise qui me fait des plats merveilleux, j'adore notamment la « caldeirada de poissons » (ragoût de poissons).

 


Portugalmania : Votre écrivain portugais préféré ?

Carlos Saura : Je vais répondre quelque chose de banal, mais Fernando Pessoa est vraiment une grande découverte pour moi. Pour tout le monde non ?

C'est une personnalité fascinante. Cette capacité à être réellement plusieurs autres avec autant de maîtrise, c'est incroyable.

 


Portugalmania : Une sorte de schizophrénie ?

Carlos Saura : C'est proche de la schizophrénie, mais ce n'est pas vraiment ça...

Luis Galvão Teles :  Oui parce que la schizophrénie ça implique une sorte d'auto-destruction alors que chez Pessoa c'est le contraire. Ca serait plutôt une auto-construction.

Carlos Saura : C'est une invention littéraire formidable, qui existait déjà, mais Pessoa l'a sublimée.

Luis Galvão Teles :  J'aime bien faire le lien entre Pessoa et « Fados » avec une phrase d'un de ses poèmes «  La meilleure façon de voir les choses c'est de les sentir... ».

Et bien pour « Fados » c'est exactement ce qu'a réussi à faire Carlos : on voyage à travers la musique en la sentant.

 


Portugalmania : Votre prochain film pourrait s'intituler « Pessoas »...

Carlos Saura : (rires). Non... Le prochain ça sera « Fados 3 » (rires).

 


Portugalmania : Votre fado préféré ?

Carlos Saura : il y en a beaucoup... Mais je crois que celui qui me touche le plus c'est « Vida Vivida » (4) chanté par Argentina Santos. Elle n'était pas prévue dans le projet initial, mais quand je l'ai écouté chanter ce fado à Lisbonne, j'ai su à l'instant que je la voulais dans le film.

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Paris le 7 janvier 2008

Interview prise en charge et réalisée pour Portugalmania par : "Paulo (Gaivota)"

  

Making- "Oeuf" ;-)

  

 

Film Fados :
 
Date de sortie France : 14 Janvier 2009
Réalisé par Carlos Saura
Avec Chico Buarque de Hollanda, cesaria Evora, Caetano Veloso, Mariza...
Film portugais et espagnol
Genre : Musical
Durée : 1h 25min
Année de production : 2007
Distribué par TFM Distribution
 

Qui Saura, saura :-) -  Synopsis du Film

Critique du film Fados

Site du film Fados

Salles en France diffusant le film Fados

 

  

Extraits vidéo du film Fados :


Fados Extrait 4
Envoyé par TFMDistribution

 

(1) Date de sortie du film "Fados" en France : Mercredi 14 janvier 2009.

(2) Carlos do Carmo est l'un des plus grands fadistes de l'histoire du fado. Il a interprété un grand nombre de fados parmi les plus fameux, et aujourd'hui encore, après une carrière remplie de bonheurs fadistes, Carlos do Carmo ne cesse d'innover, et de se consacrer à cet art qui lui colle inévitablement à la peau.

(3) Lors d'une déclaration à des journalistes, José Saramago, écrivain portugais et Prix Nobel de littérature en 1998, a en effet "jeté" l'idée d'un regroupement du Portugal et de L'Espagne, dans lequel le Portugal deviendrait une sorte province espagnole. Cette déclaration a fait l'objet de maints commentaires et polémiques.

(4) Vida vivida (Paroles)

Volta atrás vida vivida (Reviens en arrière, vie vécue)

(João de Freitas / Filipe Pinto *fado meia noite*)
Répertoire de Argentina Santos

Volta atrás vida vivida
Para eu tornar a ver
Aquela vida perdida
Que nunca soube viver

Voltar de novo quem dera / A tal tempo, que saudade
Volta sempre a primavera / Só não volta a mocidade

A vida começa cedo / Mas assim que ela começa
Começamos por ter medo / Que ela se acabe depressa

O tempo vai-se passando / E a gente vai-se iludindo
Ora rindo ora chorando / Ora chorando ora rindo

Meu Deus, como o tempo passa / Dizemos de quando em quando
Afinal, o tempo fica / A gente é que vai passando

 

 

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